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Un café avec Clément Abbey

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Maxime Moriceau : Quel est ton rapport à la Bibliothèque Publique de Paris ?

Clément Abbey : J’ai fréquenté la BPI en tant qu’étudiant et l’idée du film est née, des années plus tard, lorsque je travaillais en Belgique où j’ai ressenti de la nostalgie pour Paris et particulièrement pour cette bibliothèque où j’avais fait quelques rencontres à l’âge de 18 ans, en sortant fumer une cigarette. C’était des gens très différents de moi en tant qu’étudiant. J’ai découvert une diversité sociale, culturelle, d’âge qui me faisait pénétrer dans leur monde. Je sentais que je pouvais retrouver ça des années plus tard en faisant un film.

M.M : Tu as donc commencé à sillonner la bibliothèque en quête de rencontre ?

C.A : Oui c’était d’abord des rencontres impromptues avec des inconnus que je cherchais. Je voulais qu’on ait ce sentiment là dans le film, de croisements avec l’incertitude qu’on se recroise un jour. C’est aussi ça de vivre dans une grande ville. Ça a un peu guidé le dispositif. Je ne souhaitais pas trop préparer les entretiens et je comptais sur la spontanéité et la fraicheur de la rencontre.

M.M : Ton dispositif paraît simple en apparence, est ce que ça a toujours été facile pour toi d’approcher des inconnus avec la caméra ?

C.A : Ça me faisait peur au début parce que je me disais qu’on serait forcément exposé au vu et au su de tout le monde au milieu d’une bibliothèque. Je me demandais si ça allait marcher, si l’on trouverait des gens qui accepteraient de rentrer dans le jeu avec nous. Je tenais à ce que les choses se passent in situ. Il était hors de question de transporter les gens ailleurs parce qu’ils ont une manière d’habiter le lieu qui leur est propre et déplacer les gens, ça aurait été perdre ça. On a fait des compromis aussi en repérant des zones plus marginales dans la bibliothèque, des endroits où les gens étaient moins soumis au regard des autres. Il y a des heures où la foule est moins présente aussi. Mais c’est ça aussi qui est excitant, le fait de se parler en chuchotant, ça crée une intimité directe. Du point de vue des usagers, ceux qui ont accepté, c’est qu’ils avaient quelque chose à nous partager : un livre, un cd, un film… Le fait de se raconter de façon intime n’est qu’une incidence. Ils se racontent par le biais de quelque chose.

M.M : Le film dégage une ambiance très apaisée. Est ce qu’il y a eu des moments plus tendus au tournage ?

C.A : Je crois qu’on a pas trop dérangé les gens. Mais il arrive qu’il y ait des esclandres. Il y a plus de 4000 personnes par jour, des vigiles qui circulent et parfois, des gens testent le rapport à l’institution mais ce n’était pas vraiment le sujet du film de questionner les rapports à l’espace et au service public. Ça ferait sans doute un très bon film.

M.M : Combien de temps as tu tourné ?

C.A : On a tourné 25 jours, ce qui est pas mal. On se baladait à 3, le chef opérateur, l’ingénieur du son et moi. On cherchait le regard, on tâtait la disponibilité des gens et une fois que la connexion était faite, la présentation était très rapide. On demandait aux gens est ce que vous êtes d’accord pour tourner une séquence avec nous, on aimerait savoir ce que vous venez faire ici. La rencontre pouvait durer une heure, lorsque les gens veulent parler des plein de choses. Entre ça et les refus, je dirais qu’on tournait entre 3 et 4 séquences par jour.

M.M : Et comment s’est effectué la sélection au montage ?

C.A : Je me suis vite aperçu que ce qui fonctionnait, c’était lorsque les gens étaient habités par ce qu’ils faisaient. Ils vivaient quelque chose d’intense et avaient le désir de partager cette intensité. Disons qu’un rapport plus utilitaire à la bibliothèque d’une personne qui n’aurait pas de familiarité avec le lieu, ça apportait moins de chose au film.

M.M : Quelque part, tes personnages te ressemblent un peu non ?

C.A : Oui je suis aussi un usager régulier de ce genre de lieux. Même à Bruxelles, je ne peux pas rester chez moi, je préfère aller dans ces lieux. Lire des livres, écouter de la musique, voir des films, ça parle un peu à tout le monde. J’ai un rapport à la culture où je peux me perdre dedans et en tirer une certaine exaltation. J’ai l’impression que de plus en plus, avec les nouvelles façons de vivre la culture, on la vit en solitaire, via les nouvelles technologies notamment. Je ne m’en étais pas aperçu au moment de faire le film mais c’est aussi ce que je raconte. Cette ouverture à l’autre, cette soif de connaître mais qui se vit aussi tout seul. Je me retrouve bien aussi dans cette solitude. Ce n’est pas que négatif, ça permet aussi de cultiver son intérieur, sa sensibilité, c’est assez ambivalent.

M.M : As tu des idées de nouveaux lieux à arpenter ?

C.A : J’aimerais bien faire un film sur les aires de repos d’une certaine autoroute en Belgique. Elle se situe près de chez moi et je l’ai pas mal fréquentée quand j’étais régisseur de films de fiction il y a 5 ans. A ce moment là, je faisais beaucoup de tournages et je parcourais le pays en long en large et en travers. J’ai eu deux bourses qui me permettent de financer des repérages. Comme pour Bibliothèque publique, ce sera sans doute un film à la narration très lâche où il faudra faire tenir ensemble des gens très différents dans un même monde.