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Un café avec Agathe Oléron réalisatrice du film « La dame de Saint-Lunaire »

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« Dans le documentaire, on a encore cette possibilité de laisser la spontanéité aux choses d’exister. »

« Faire ce film, ça m’a permis de voir que c’est vraiment ce qui me correspond. Dans ma carrière professionnelle, c’est la première fois que je suis autant à l’aise. » Agathe Oléron s’affirme en temps qu’auteur avec son premier film en cours de montage à Mellionnec. Elle nous raconte son chemin de création.

Marion Durand : Tu réalises un film sur Jeanne Devidal, une femme qui a construit une maison complètement improbable, comment est né ce désir de film ?

Agathe Oléron : Tout a commencé lors d’une classe de mer à Saint Lunaire étant gamine, on est passés devant sa maison et on l’a rencontrée. Trente ans après en retournant sur les lieux, j’ai eu envie de savoir si la maison et cette femme existaient toujours, ou si c’était mon imaginaire de gamine qui les avait inventées.
Les gens l’appelaient la folle de Saint Lunaire. La folie, c’est une thématique que je voulais développer dans le cadre d’une réalisation. Pourquoi considérait-on qu’elle était folle ? Quel était son rapport aux autres, son rapport avec la société ? Toutes ces questions m’intriguaient. J’ai commencé à enquêter, j’ai pu lui mettre un nom, j’ai su que je n’avais pas inventé cette histoire et qu’elle avait bien existé, mais la construction n’existait plus et la femme était décédée.
La maison avait une apparence tellement étrange, elle était faite avec des boites de conserve, du ciment… j’avais l’impression que Jeanne Devidal avait récupéré ce qu’elle avait trouvé au bord de la mer pour construire sa maison. La première sensation que j’ai eue, c’était de rentrer dans un château de sable géant qu’elle avait construit pour se protéger, et qu’à la prochaine vague, on serait engloutis. Pour moi c’était impossible de vivre dans une telle maison, ça faisait peur.
Je me rappelle d’une femme qui avait une sorte de grosse capuche, un truc qui lui couvrait complètement la tête, de deux yeux qui brillaient très fort, et d’un sourire. Elle m’a un peu fait penser à une sorcière. On est juste rentrés dans le couloir, il y avait un côté effrayant très sombre, en même temps mystérieux et attirant.

MD : Ce côté mystérieux, c’est ce que tu allais chercher dans ton film ?

AO : En allant chercher des éléments sur cette femme et sur sa construction, j’allais à la rencontre de quelqu’un qu’on avait appelé la folle pendant toute une partie de sa vie. Et comment les gens qui habitent un endroit construisent un personnage, un mythe d’après leurs souvenirs. Les gens s’imaginaient qu’elle était méchante, qu’elle avait un fusil dans sa maison, qu’elle pouvait tirer sur n’importe qui, que c’était peut être une résistante, peut être une ancienne déportée. Bref, il y a tout un mythe qui a existé autour d’elle. Les enfants adoraient passer devant la maison, souvent à vélo pour partir très très vite parce que ça leur faisait peur. Les ados se sont appropriés cette maison comme une sorte de rite initiatique où si on réussit à pénétrer à l’intérieur, on gagne des points vis-à-vis des autres. Elle était très respectée par les adultes. Tout le monde s’est approprié le personnage et à chaque fois ça évoquait chez les gens un souvenir heureux, un mystère, quelque chose d’agréable.

MD : Cette femme a beaucoup fait parler d’elle et elle continue d’inspirer… ce film en est un exemple ?

AO : J’ai l’impression que cette femme véhicule quelque chose d’assez universel. Elle touche, et elle m’a touchée profondément.
Depuis que j’ai retrouvé les premières traces d’elle, j’ai eu très vite envie de me remettre à peindre, à dessiner, à faire des choses artistiques, et une envie très forte de la faire exister autrement qu’à travers un témoignage filmé de manière très faciale. Pour moi elle existait au travers de la mer, au travers des éléments, et tout ce qu’il pouvait y avoir de houle à l’intérieur d’elle.
Une scène a émergé au cours de la première semaine de formation à la dramaturgie que j’ai suivie à Mellionnec. Quand on nous a demandé d’écrire un synopsis du film, en fait j’ai écrit une scène du film qui me semblait être hyper importante. Je voyais un long plan séquence sur la plage avec un concert de piano, avec du monde qui arrivait, qui témoignait… ça ne ressemble pas à une scène classique de film documentaire. Elle est décédée, sa construction n’est plus là, alors il fallait qu’elle existe d’une autre manière, d’une manière très artistique. Et voilà, cette scène on l’a tournée, Le Sacre du printemps de Stravinsky au piano à 4 mains, sur la plage à côté du lieu de sa maison. Elle est tellement dans la vie cette femme ! Ça aurait été dommage de parler d’elle en n’évoquant que le passé. De recréer un moment présent auquel participe des gens présents, vivants, ça donnait une force, la pulsion qu’elle pouvait avoir, elle vivante.

MD : Est-ce que tu peux nous parler de ton dispositif ?

AO : Pour mon tournage, j’ai voulu créer des choses assez spontanées, comme celles que l’on retrouve dans les premiers entretiens, quand les gens se confient sur des choses qui leur sont très personnelles, qui sont de l’ordre du mythe et de la confidence, du souvenir personnel rattaché à leur histoire.
Donc j’ai fait se rencontrer entre eux les témoins autour des facettes du personnage pour faire naître quelque chose de plus neuf.
Le documentaire pour moi c’est un grand terrain de jeu, parmi tout ce qu’on peut faire en audiovisuel c’est la forme la plus libre pour raconter son histoire. Dans l’univers de la fiction, on storyboarde beaucoup parce que tout ce qu’on va tourner à un coût. Alors que dans le documentaire on a encore cette possibilité de laisser la spontanéité aux choses d’exister.

MD : La sortie du film est prévue en 2016. On est très impatients de découvrir cette première réalisation !

Marion Durand, 19/11/2015