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Un café avec Yamina Zoutat réalisatrice du film « Retour au Palais »

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« C’est très précieux pour moi d’être avec Pomme pour le montage et en même temps d’être ici. »
Yamina Zoutat réalise son deuxième film, elle est en montage à Mellionnec et nous raconte avec passion cette aventure.

Marion Durand : Tu as travaillé en tant que chroniqueuse judiciaire au palais de justice de Paris et tu décides de faire un film sur ce sujet. Qu’est ce qui t’attire dans ce lieu ?

Yamina Zoutat : J’ai été chroniqueuse judicaire dans beaucoup de palais, mais celui-ci m’a marqué plus que les autres. C’est une géographie complexe qui a mis mille ans pour s’établir comme elle est aujourd’hui. L’année prochaine le tribunal de grande instance déménage, plus de la moitié du palais va se retrouver vidé. Un nouveau palais est en construction actuellement, un bâtiment neuf, blanc, transparent, une architecture contemporaine… J’avais vraiment envie de filmer le palais comme il existe aujourd’hui dans ses dernières années, pendant qu’il est encore habité partout, dans tous ses recoins. C’est toute une harmonie qui va se rejouer autrement.
Ce qui m’intéresse c’est l’esprit du lieu. Ce n’est pas tant l’activité concrète, judiciaire, mais tout ce qui se passe avant, après, dans les moments creux. Le palais de justice, que ce soit au cinéma ou à la télévision, c’est le procès, l’instruction, le cabinet du juge, la salle d’audience. C’est des juges et des avocats en action et puis des justiciables chacun à sa place : accusé, témoin, victime. Moi je fais un pas de coté, je connais ça par cœur et je sais qu’il y a une autre richesse dans ce palais. C’est une vision très décalée, poétique, artistique et esthétique.

M.D : Comment est-ce que tu définirais l’esprit de ce lieu ?

YZ : On sent une épaisseur dans ce lieu, de tous ceux qui sont passés par là, petits ou grands. Marie Antoinette mais aussi tous ces anonymes, j’ai l’impression que chacun à laissé sa trace et que tout ce lieu cristallise leurs vibrations. Je le sens super fort, je l’ai toujours ressenti quand j’étais chroniqueuse. Je n’avais pas le temps de faire de pas de côté, mais j’avais envie de m’échapper. Les gestes ordinaires ne sont pas anecdotiques, je pense que ça nous donne une image de la justice qui permet peut-être de renouer avec le citoyen, avec le justiciable. Ce sont ces gens, à tous les étages et avec tous ces métiers qui contribuent à faire que la justice puisse fonctionner. Que ce soit des ouvriers, ceux qui guident les justiciables perdus, des personnes qui charrient les dossiers, je pense que le justiciable peut s’identifier à ces personnes. J’aimerais donner un visage humain à la justice parce que la justice, c’est nous.

MD : Comment expliques-tu que ce qui s’y est passé puisse jouer un rôle pour le présent ?

YZ : C’est toute la continuité, toute la transmission, c’est la légitimité des juges qui s’appuient sur toute l’histoire de la justice. Et cette légitimité, cette crédibilité, cette force est pour l’instant accrochée aux murs. Elle tient évidement aux hommes et aux femmes qui jugent, mais c’est comme si cette force et cette crédibilité était aussi portée par l’espace qui porte toute l’Histoire de France. Dans le palais, il y a la statue de Charlemagne, il y a Napoléon, des fleurs de lys, des murs romains dans les sous-sols et c’était au départ une forteresse militaire. Elle a été la première demeure des Rois de France avant le Louvre. Ce palais ancien est truffé de symboles, la feuille de chêne on en trouve partout, des lions… Comme si on pensait qu’aujourd’hui les citoyens n’ont plus besoin de tous ces symboles et de ce décorum pour comprendre qu’ils sont dans l’institution judiciaire.
C’est ça le pari des gouvernements d’aujourd’hui, dans le nouveau palais qui sera entièrement blanc, comme une page blanche, comme si on reprenait tout à zéro, c’est d’imaginer comment conserver cette continuité, cette légitimité, mais cette fois-ci ce sera avec des murs blancs.

MD : Concernant tes méthodes, tu écris beaucoup, tu filmes seule et tu laisses la place à l’intuition. Tu peux nous en parler ?

YZ : C’est un projet sur lequel j’ai commencé à travailler en 2010, le tournage a été long, il s’est accompagné d’une réflexion assez intense qui a évolué avec le temps sur qu’est ce que je viens filmer là, qu’est ce que je cherche exactement à montrer pour définir l’esprit du lieu. Mais au moment où je tourne, et j’aime beaucoup tourner seule, ma tête se vide, ce n’est plus le cerveau qui fonctionne, c’est vraiment l’instinct qui prend le dessus et qui me permet de savoir exactement où je dois me placer physiquement. À un moment donné ça se joue juste dans le corps. J’ai choisi des outils les plus légers possible, les plus simples possible, vidéo légère, micro sur la caméra, pour aussi me glisser facilement dans les activités des uns et des autres. Ça me laissait cette liberté d’action, c’est à la fois très préparé en amont, et en même temps complètement improvisé au moment où je tourne. Mais ce n’est pas contradictoire, c’est ça qui fait la force, la beauté du documentaire, c’est laisser la surprise arriver, l’accident, l’imprévu et savoir l’accueillir.

MD : Aujourd’hui tu travailles en montage avec Marie-Pomme, tu as présenté ton film à plusieurs reprises à la Maison des Auteurs, tu es dans l’échange avec d’autres sur ton film, comment tu vis ça ?

YZ : Pour moi c’est le travail d’équipe qui commence là. L’équipe au tournage c’est la personne que je filme et moi. Une fois le tournage fini, l’équipe cinématographique se constitue avec Pomme, mais aussi avec tous ceux qui sont là en soutien et en échange, en interaction avec moi.
C’est la première fois que j’ai cette chance d’être dans l’échange pendant le montage. Ça m’impressionnait au début, j’appréhendais parce qu’un film est très fragile quand il est en chantier, on peut être découragé. À l’inverse, le visionnage que j’ai fait en octobre m’a plutôt donné confiance. Mon moteur c’est de pouvoir faire une projection collective. Vous êtes en quelque sorte mes tous premiers spectateurs et ça, c’est très fort parce que le projet n’est pas encore monté, ça se construit ensemble.
C’est très précieux pour moi à la fois d’être avec Pomme pour le montage et en même temps d’être ici. Elle a monté mon premier film, j’ai une confiance complète en elle. Il y a beaucoup d’émulation, il se passe vraiment quelque chose entre nous. Ici à Mellionnec, je suis dans un univers qui est très différent de celui du palais. Au palais je suis dans un monde de pierre, ici je suis dans la nature. Je retrouve une distance avec l’objet filmé qui est très créative, très utile et juste. Et Mellionnec m’offre la possibilité de trouver la bonne distance pour bien voir. C’est hyper précieux.
Je suis Suisse, cet esprit centralisateur de la France, c’est le monde à l’envers pour nous. C’est une chance énorme pour moi d’échapper à ce centre, que ce film se construise à la fois à Paris où il a été tourné, en Bretagne où il est monté et c’est une production majoritairement Suisse. Être en Bretagne ça correspond bien à ce que je ressens.

Marion Durand, 2/02/2015