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Un café avec Marie Ka réalisatrice de « La plume du peintre »

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Dans le cadre du Mois du film documentaire, la réalisatrice Marie-Ka est venue présenter « La Plume du peintre » à la Médiathèque de Dinan. Elle nous offre un moment pour nous parler de son film.

Maxime Moriceau : D’où t’es venue l’idée de ce film ?

Marie Ka : J’habite en campagne à Chaumont et j’en avais assez d’entendre les parisiens qui débarquaient le week-end se plaindre durant la saison de ces “cons de chasseurs”. Une philosophe que j’aime bien disait “j’aime les animaux parce que mon grand père était chasseur”. J’ai d’abord eu envie de parler des rapports de classes sociales au sein même des chasseurs. Je voulais filmer les rabatteurs qui cernent le gibier dans des corridors où les bourgeois n’ont plus qu’à tirer. Ceux-là arrivent en hélicoptère et sont à mille lieues des réalités de ces rabatteurs. C’est comme ça que j’ai rencontré Antoine, 6 ans. On aurait dit un petit chaperon rouge avec son gilet fluo. Normalement, les autres chasseurs n’emmènent pas leurs enfants aussi jeune avec eux. C’est un moment à eux où ils sont concentrés sur ce qu’ils font. Christophe portait une réelle attention à Antoine, quitte à rater le gibier pour que son fils puisse faire pipi. Je lui ai dit : « votre façon d’emmener votre fils avec vous, ça m’impressionne, j’aimerais faire un film là dessus. »

M.M : A-t-il accepté facilement ?

M.K : Assez naturellement oui. C’était une période compliquée pour Antoine. Ses parents étaient séparés depuis peu et son père venait de récupérer un droit de garde, un week-end sur deux. C’était le début des retrouvailles entre les deux, le départ d’une relation avec la maison qui se construit et dans laquelle ils vont vivre. À ce moment là, Antoine était difficile, il souffrait de l’abandon de sa mère qui s’était remariée et avait eu un nouvel enfant. A l’école, ça n’allait pas non plus, la maîtresse le mettait à l’écart dans une salle où, d’après elle, “il pouvait faire ce qu’il voulait. J’ai été admirative de la patience et de la bienveillance de Christophe qui donnait tout pendant ces moments partagés avec Antoine.

Marie-Ka

M.M : Un film tourné à hauteur d’enfant comme celui-là, c’est assez rare. As-tu l’habitude de travailler avec des enfants ?

M.K : Non, je fais des films très différents les uns des autres. Je viens de la télévision, mais de l’époque où on nous laissait faire du documentaire. Je travaillais pour l’émission Striptease avant que France Télévision ne la mette au placard. On travaillait en toute petite équipe et c’est comme ça que j’aime travailler maintenant. Je pose ma caméra sur une relation. Pour « La plume du peintre », j’étais le plus souvent seule avec ma petite caméra et un peu de matériel son. Ça permet aux personnes filmées de nous oublier un peu et les enfants sont très fort pour ça. Au bout d’un moment, on fait partie du paysage. Pour d’autres films, c’est un travail de fourmi qui ne se voit jamais dans le docu. J’ai fait un film sur AZF quand plus personne n’en parlait. Il a fallu un an pour que la parole vienne et deux années supplémentaires pour réaliser le film.

M.M : Combien de temps as-tu suivi Antoine ?

M.K : Entre le moment où je l’ai rencontré et le moment où je lui ai montré le film, 4 ans se sont écoulés. C’est un temps nécessaire lorsque l’on veut saisir le réel. C’est ce que la télévision ne comprend pas. J’ai essayé de le proposer mais il aurait fallu ajouter une voix off expliquant qu’à tel moment, Antoine s’ennuie, là il est heureux etc. Pareil pour la scène où l’on voit un sanglier dépecé, ils n’en voulaient pas. J’ai déjà eu des problèmes sur un autre film où une oie se faisait décapiter. J’ai été convoquée et on m’a obligé à retirer la scène sinon le film ne sortait pas. La télévision accepte de diffuser des images de guerre à des heures de grande écoute, mais pas un corps d’animal mort. C’était pas possible, du coup, j’ai fait une demande d’aide au Centre National du Cinéma (CNC) comme n’importe quel film de cinéma, pour être libre de ma forme.

M.M : Comment s’est terminé le tournage ?

M.K : Je voulais finir sur une autre scène de chasse où l’on verrai l’évolution d’Antoine. Il y a plein de contraintes lorsque l’on filme ce genre de scène. Il faut tout le temps rester en retrait donc on filme beaucoup les gens de dos, c’est pas génial mais autrement, on risque de se faire dégommer. Ce qui était beau, c’était leur solitude à tous les deux et puis le fait qu’Antoine me guidait. Il me disait quand avancer, quand m’arrêter, comme pour me transmettre, à son tour, ce qu’il avait appris. C’était mon dernier jour de tournage, on a marché longtemps et je commençais à me décourager en me disant qu’ils n’allaient rien trouver. Et puis on a eu une chance folle. Christian a été le seul à voir le sanglier et j’ai pu filmer cette scène magique où ils sont seuls, tous les deux avec l’animal. J’ai juste manqué le moment où il a tiré, j’étais en train de changer de batterie.

M.M : Comment Antoine a-t-il réagi en voyant le film ?

M.K : Il y a eu deux moments. J’avais fait un montage de quinze minutes au tout début du tournage pour leur montrer ma façon de travailler. On voyait la première scène de chasse puis la scène où Antoine apprend à lire. Antoine a dit : « ça, c’est moi ! » C’est après ce visionnage qu’ils m’ont vraiment laissé les filmer dans leur quotidien. Et puis, quand je leur ai montré le film terminé, leur réception était très positive. Antoine a dit que ça lui ferai un souvenir de toutes ses conneries et qu’il s’était beaucoup amusé. Aujourd’hui, Antoine entre au collège. Tout va beaucoup mieux à l’école et à la maison.

Maxime Moriceau, 25/11/2017