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Un café avec Nathalie Marcault réalisatrice en résidence

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Actuellement en résidence d’écriture à Mellionnec, Nathalie Marcault, autrice-réalisatrice, nous parle de son nouveau projet et de cette longue « traversée du désert » dans laquelle peut entraîner le délicat processus de l’écriture.


Jean-Baptiste Delgrange : Peux-tu nous raconter le projet sur lequel tu travailles en ce moment ?

Nathalie Marcault : C’est un projet de film documentaire qui a démarré il y a 5 ans. D’ailleurs l’écriture a quasiment commencé à Mellionnec où j’ai participé à une formation « Documentaire et dramaturgie » avec ce projet-là, en 2013. Puis, il y a 3 ans, je me suis enfermée chez moi quasiment tout l’été. J’ai fait une espèce de « traversée du désert » parce que je me suis rendue compte après coup que cette période d’écriture - c’était vraiment du non-stop - avait duré 40 jours (Rires). Cela m’a permis d’obtenir une aide à l’écriture auprès du CNC et avec cette aide-là, j’ai pu rémunérer une co-auteur, Emmanuelle Mougne. Nous avons travaillé ensemble pendant un an avec l’idée d’aboutir à un texte qu’on pourrait présenter à l’Avance sur recettes. Et à l’issue de ce travail, on a demandé la résidence « Accompagnement à l’écriture » à Mellionnec pour aller au bout de la réécriture.
C’est un film autour de la question de la maternité. C’est une histoire à la première personne, un point de vue sur la maternité venant de quelqu’un qui n’en a pas fait l’expérience et qui s’interroge sur ce qui s’est joué, comment ça s’est joué, s’il y a eu un moment décisif qui a rendu la maternité impossible ou si c’est le fruit des circonstances. Ce n’est ni un film sociologique ni un film militant. Il s’agit d’un point de vue intime - et revendiqué comme tel - qui, je l’espère, touchera à l’universel.
J’ai mis du temps à écrire ce film parce que c’est une question autobiographique et que je n’arrête pas d’évoluer par rapport à cette question-là. Il y a 5 ans ou 3 ans, elle ne se posait pas de la même façon que maintenant. La vie fait que mon point de vue change et c’est ça qui rend les choses très compliquées. C’est à cette matière vivante que je me confronte et j’ai parfois l’impression de laisser le film derrière moi. Enfin, je ne sais pas si c’est moi qui cours plus vite que le film ou bien si c’est le film qui me dépasse (Rires).

JBD : Y a t-il eu un choc fondateur (un film, une image, une rencontre) qui t’a donné envie de réaliser des films ?

NM : Je suis cinéphile depuis mon adolescence. En fait, la littérature et le cinéma ont été des refuges... L’imaginaire... Parce que dans mon histoire, le Réel n’était pas très fréquentable. Bref, des chocs fondateurs, j’en ai eu plein. Je me souviens, il y avait ces belles émissions le dimanche et le vendredi...

JBD : Le Ciné-club de Claude-Jean Philippe le vendredi...

NM : Oui, et le Cinéma de Minuit de Patrick Brion le dimanche. Je me suis nourrie de ces programmes pendant toute mon adolescence et le début de l’âge adulte jusqu’au moment où ces émissions ont disparu du petit écran. Mais le choc en fait, ça a été mon expérience aux Ateliers Varan. J’ai fait des études littéraires et après j’ai intégré l’Ecole de journalisme de Lille. Mais ce que je voulais vraiment faire, c’était l’Idhec qui ne s’appelait pas encore la Fémis. Je n’avais pas du tout osé en parler à mes parents à l’époque. Faire des films, c’était trop loin de leur univers alors que journaliste, c’était un métier pour eux. Après 10 ans d’exercice du journalisme, parce que je ne trouvais plus de sens à la manière dont je pratiquais ce métier, j’ai décidé d’aller faire un stage aux Ateliers Varan. Et là, je me suis sentie à la maison. C’est pendant ce stage que je me suis rendue compte qu’avec une caméra entre les mains, je me sentais bien. Filmer demande d’être dans un état de grande concentration et en même temps d’être totalement disponible à ce qui se passe. On est dans le présent. Et on construit quelque chose qui s’appuie sur le réel et qui le transcende.

JBD : En découvrant ton travail, j’ai eu l’impression que le passé constituait une matière importante à l’intérieur de tes films : films super 8, photos, dessins, enregistrements sonores, archives diverses, objets-souvenirs... Cette relation au temps qui passe, aux personnages habités par leur passé, constitue-t-elle une thématique consciente, un fil conducteur déclaré quand tu écris ?

NM : Oui... C’est juste... Il y a une matière temps. Après, c’est le propre du cinéma... Dans mon film « Pierdel », le personnage quand je le rencontre, il a plus de 80 ans... Sa vie est derrière lui. Il s’agit donc de revisiter un passé. Et effectivement, la question c’est : comment revisiter du passé au présent ? Ou plutôt : comment remettre en scène le passé dans un présent ? C’est vrai que c’est aussi la problématique dans « À la gauche du père ». Et on la retrouve dans « La moitié du monde », le film que je suis en train d’écrire. Mais la difficulté que j’ai toujours, c’est que je n’ai pas du tout envie de faire des films de regrets ou passéistes, uniquement dans le souvenir. Mais oui, effectivement, je pense que je travaille pas mal sur des traces.

JBD : Dans ton travail d’écriture, te fixes-tu d’emblée une éthique que tu t’efforces de respecter dans ton approche des personnes et des situations que tu vas filmer ?

NM : Par exemple, pour « À la gauche du père » qui est un film où je demandais une implication forte aux personnages, à mes proches, notamment à ma mère, l’éthique là, ça a été d’être moi-même personnage pour vraiment partager avec eux le risque de l’exposition. Et ce sera la même chose dans « La moitié du monde ». C’est compliqué de se mettre en scène... L’éthique, c’est de ne pas trahir les gens. Après, je ne me raconte pas d’histoires, je ne suis pas à égalité avec les personnages. Je suis réalisatrice et j’ai le final cut. Mais je fais toujours voir les films aux personnages avant la fin du montage et jusqu’à maintenant, jamais personne ne m’a dit : « tu enlèves cette phrase ou cette séquence ».
En ce qui concerne l’écriture, je trouve qu’au contraire, c’est un moment très ouvert où tu te coltines à ta matière, en l’occurrence à tes questions, à tes démons, à tes doutes. Mais en même temps l’écriture, c’est le premier moment, je trouve, où tu construis quelque chose pour un regard tiers. Quand on est sur une matière autobiographique, il faut toujours se poser la question du spectateur. C’est vrai pour tous les films mais avec une vigilance entre plus grande pour les films à la première personne.
C’est vraiment un processus et parfois, tu te plantes. Quand je relis des dossiers d’il y a 3 ans ou 4 ans, je me rends compte qu’il y a plein de choses qui ne concernent pas le spectateur. Ça me concernait moi mais ça ne concerne pas le spectateur. Tout le travail d’écriture, c’est d’évacuer tout ce qui ne concerne pas le spectateur en trouvant une forme qui l’associe à ton histoire pour que ça résonne dans son histoire à lui, que ça fasse travailler son imaginaire, et qu’on soit dans le questionnement.
Une chose que je sais aujourd’hui, c’est que s’il y a un prochain film, j’aurai envie d’associer quelqu’un au travail d’écriture assez vite. Et pourquoi pas co-écrire pour réduire cette phase du travail qui n’est pas une fin en soi, pour avoir un regard extérieur plus tôt, pour éviter de s’engluer et garder le désir et l’énergie intacts pour les étapes suivantes.

JBD : Justement, quels principaux apports retiens-tu de l’accompagnement dont tu bénéficies lors de ta résidence à Mellionnec ?

NM : C’est un accélérateur de particules. Cet accompagnement me fait gagner du temps. Je peux rester bloquée le nez au mur pendant un mois alors que quand je me trouve moi-même dans la fonction d’accompagner d’autres personnes, les choses me paraissent évidentes. Mais par rapport à son propre travail, on est complètement aveuglé. Le regard de l’autre au stade de l’écriture, c’est une préfiguration de celui du spectateur. Cela aide à trouver cette fameuse bonne distance !
Et puis là il s’agit d’une écriture de film pour le grand écran, je n’ai jamais fait de long métrage et Christophe Cognet qui m’accompagne, a cette expérience d’avoir écrit plusieurs longs métrages pour le cinéma. Il a une grande exigence et m’aide à approfondir l’écriture en termes de structuration du récit et de la forme. Le film sera une tragi-comédie burlesque. Cette forme-là a émergé petit à petit en cours d’écriture, et s’est affirmée dans cette dernière phase.

Jean-Baptiste Delgrange, 20/04/2018