À la tombée du jour dans le bourg de Treguidel, une lumière éclaire la devanture du P’tit Bar du Contrevent. À l’intérieur se serrent autour du comptoir des habitué·es du lieu et des gens de passage, curieux de découvrir ensemble un film au titre énigmatique : Apple cider vinegar. Cet hybride entre fiction et documentaire bouscule nos habitudes de spectateur·ice et nous fait voyager d’un bout à l’autre de la planète.
Maxime Moriceau : Dans ton film, nous rencontrons les travailleurs d’une carrière palestinienne, un géologue britannique et les habitants d’un champ de lave au Cap Vert. Quel est ton rapport aux pierres et à la géologie ?
Sofie Benoot : Quand on est enfant, on est toujours attiré par les pierres. Je vois ma fille, elle en a toujours au fond de ses poches. C’est vraiment quelque chose qu’on aime garder près de nous, avec lequel on aime jouer. Quand je voyage, je ramasse toujours des pierres. Bon, ici en Bretagne, je sais que c’est interdit donc je me retiens. Il y a dans ma maison beaucoup de ces pierres qui sont aussi le symbole de ma mémoire parce que certaines me ramènent à l’endroit où je les ai trouvées. Dans mes précédents films, je tournais beaucoup dans les déserts. Je trouvait intéressant de parler de ce que les humains considèrent comme vide. C’est une manière de mettre les choses à distance. Par exemple, aux États-Unis, c’est une façon de dire que si c’est vide, c’est mort et donc ça peut nous appartenir. En niant la vie, les cultures présentes, le désert peut ainsi devenir une zone pour des essais nucléaires par exemple. Les pierres sont vraiment au dernier plan, elles sont considérées comme le décors et si on met ces pierres comme sujet du film, ça peut changer notre regard et je pense que c’est important de le faire en ces temps de catastrophes climatiques. Si on essaye de se rapprocher de ce qui est le plus éloigné de nous les humains, c’est une bonne chose. Par contre, je ne suis pas calée en géologie, j’aurais bien aimé mais il n’y a pas assez de temps dans la vie. C’est plus un attachement émotionnel et physique.
M.M : Le point de départ d’Apple cider vinegar est la découverte par ton personnage d’un calcul rénal. Est-ce aussi ton histoire ?
S.B : Un fois alors que je marchais, j’ai été prise de douleurs très fortes. J’ai été hospitalisée et ils m’ont diagnostiqué une infection rénale. J’avais des calculs mais je ne les ai pas vus car ils étaient microscopiques. Pour mon film, j’en ai choisi un qui soit bien cinématographique. Il faut savoir que les calculs humains sont détruits après chaque opération donc j’ai contacté des vétérinaires et j’ai pu en récupérer plusieurs. J’ai toute une collection chez moi dont un calcul biliaire de cheval qui est assez grand (elle joint ses mains en forme de petit pamplemousse). Celui du film appartenait à un chihuahua. C’est un peu une blague dans le film parce qu’une personne demande à mon personnage si ça vient d’elle et elle répond en rigolant que ça appartient à un chihuahua. Mais ce qui m’a attiré avec cette histoire, c’est qu’un si petit caillou puisse faire autant mal et j’ai trouvé que cette question d’échelle, du microscopique à l’infiniment grand, de petit calcul rénal et la planète, c’était très symbolique.
M.M : Le personnage de Charlotte dit que ses douleurs sont liées aux mouvements des plaques tectoniques. Es tu sensible aux vertus des pierres ?
S.B : Je crois pas que les pierres peuvent nous guérir mais plutôt que c’est une manière de se lier à elles par des histoires et j’adore les gens qui parlent de ça. Quand j’accompagne le film, il y a souvent des gens qui racontent des choses comme ça. Personnellement, je n’ai pas cette sensibilité mais je sais qu’il y a des pierres qui nous appellent, qu’on a envie de tenir dans la main. Je suis sûr qu’elles nous apportent des choses, pas forcément des énergies mais des choses plus symboliques et moins directes. Je n’ai pas de cristal avec moi.
M.M : Ton film démarre par des images live de nature filmée par des webcams aux 4 coins du monde. Peux tu nous dire le temps qu’il t’a fallu pour saisir ces instants ?
S.B : C’est impossible à dire mais beaucoup de temps c’est certain. C’était un moment de ma vie où j’étais beaucoup chez moi avec mon bébé sur le ventre et ça m’aidait à m’endormir. C’est presque rituel. Tout le film parle de la distance et de comment on peut la réduire. Les webcams symbolisent vraiment cette distance entre nous et le monde qu’elles filment. Parce que c’est en direct, que ça demande d’attendre qu’il se passe quelque chose, c’est plus proche que des images d’un documentaire animalier de David Attenborough qui lui, attend pour nous. C’est cette attente qui réduit notre distance. Même si la qualité des images et bien moins bonne que celle d’un film animalier, je trouve ça plus immersif. C’est comme si j’étais là aussi. Beaucoup de personnes découvrent l’existence de ces webcam et ont la même fascination. Je trouve ça bien que ce ne soit pas les meilleurs technologies, les plus belles focales qui nous rapprochent le plus de ce monde. Parfois j’avais l’impression d’être un détective en train de surveiller. Ça m’intéressait de passer par une technologie plutôt tournée vers le contrôle et la surveillance alors qu’on a pas de contrôle sur ce qui se passe là-bas. On a pas de contrôle sur ces animaux. Ce qui est beau, c’est qu’en attendant qu’ils apparaissent, on regarde les pierres, on regarde le décors. C’est très poétique cette attention et c’est ce dont on a besoin, d’une nouvelle manière de regarder.
La réalisatrice accompagnera les projections de Trédrez Locquémeau le 12 nov et de Plérin le 14 nov.
