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Un café avec J. Breschand 1/2 réalisateur et scénariste

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Depuis quelques semaines, Jean Breschand est à Mellionnec pour accompagner le réalisateur Lucas Vernier dans le cadre des résidences d’écriture de Ty Films. L’occasion pour nous de le questionner sur son rapport au cinéma et à l’écriture.

« La puissance silencieuse du vivant »

Hortense Lemaitre : Quelle est ta première rencontre, ou y a-t-il eu une rencontre décisive avec le cinéma ?

Jean Breschand : La première rencontre avec le cinéma, c’est très compliqué parce que ce sont des rencontres d’enfance dont on a perdu la chronologie, mais dont il reste quelques repères qui forment un ensemble, un agrégat, une sorte d’étoilement d’images qui sont des images primitives en quelque sorte. Il n’y a pas « la » première projection mais plutôt un ensemble de projections de diverses natures, d’expériences qui sont aussi des expériences humaines, d’enfant, qui font que le cinéma s’offre peu à peu comme un monde un peu particulier, peut-être un peu à part.

Si je devais définir mes premières expériences de cinéma dans l’enfance, c’est à dire comment le cinéma vient à soi, je pense que c’est de l’ordre d’un mystère. Le mystère de la lumière et de la nuit. Qui est très attirant, forcément. Et puis après il y a les films qui nous marquent, qui tout à coup nous apportent une lecture du monde.

Je fais partie d’une génération où on n’avait pas forcément de télévision à la maison. Aller au cinéma, c’était aller à la rencontre des images animées. J’ai vu « Le Dictateur » de Chaplin au cinéma. J’ai vu « L’enfant sauvage » de F. Truffaut. J’ai vu « Nosferatu » de F.W. Murneau, « M le maudit » de Fritz Lang, « Pierrot le Fou » de J-L Godard : des films qui font partie du corpus du cinéma classique. Ils marquent profondément, restent imprimés et travaillent ensuite l’imaginaire. On découvre aussi que tous les films n’ont pas la même énergie. Ils forment un paysage avec des ouvertures vers des horizons différents, des façons de rêver différentes qui viennent se répondre ou se contredire…Il y a un jeu qui se fait entre les films. C’est aussi la puissance de l’imagination. Et en même temps on commence à identifier qu’il y des cinéastes qui vont nous emmener plutôt dans telle direction. Truffaut va plutôt nous emmener du côté du jeu des sentiments, le cinéma de Hitchcock est plutôt un cinéma mental, qui travaille, comme « Vertigo », sur la construction d’une image et sa déconstruction… Les films se mettent à s’ouvrir, les uns par rapport aux autres, et on continue d’aller explorer cette réserve de récits, d’images, d’imaginaires.

Et puis, pour moi ça a été assez long ou lent. Je me suis décidé tardivement à faire des films. C’est vraiment à l’âge de 30 ans où je me suis dis « le cinéma m’intéresse vraiment plus que le reste. » Je me suis décidé non pas avec un événement décisif mais plutôt un non-événement, avec une interrogation sur moi-même à 30 ans : « Qu’ai-je véritablement envie de faire ? Où se place réellement mon désir ? » C’est le cinéma qui m’attire. C’était là où j’avais envie d’être, de vivre.
J’ai commencé par faire des films documentaires. Maintenant je fais des films de fiction et je continuerai à faire des films de fiction. Mais je reste attaché au documentaire parce c’est un double mouvement de construction d’un rapport au réel et à l’image, qui est un nœud, pour moi, de cinéma.
Je fais aussi des films dans une autre veine, dite expérimentale, où je travaille à partir de photos re-filmées, projetées sur des écrans, différents supports, de toiles, de draps, avec des animations… Si on fait tomber devant l’image fixe quelques feuilles, quelques pétales, quelques gouttes d’eau : tout de suite cela anime l’image. On ne voit plus une image fixe, on voit un plan qui a sa propre temporalité, qui vient d’un événement atmosphérique.
Ces films racontent des histoires qui reposent sur un matériel autobiographique mais complétement reconstruit, ce sont des récits inventés. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter une sorte de rêverie…La façon dont circulent les formes du désir à travers la ville, les voyages, les paysages. Cette expérience de cinéma m’intéresse car c’est une expérience assez libre, qui n’a pas besoin d’être justifiée institutionnellement d’une manière trop forcée, et dont les enjeux commerciaux sont un peu différents.
Je cherche une définition…Je dirais que ma relation au cinéma c’est..
Pour moi, le cinéma est plus qu’un continent. Je pense avec, à travers le cinéma. C’est à dire à travers le médium du cinéma : cette puissance de construire, d’associer des images, mais aussi de recomposer son Histoire du cinéma, l’histoire des images qui ont été faites, avec tous ces personnages qu’il a inventé, toutes ces histoires qu’il nous raconte… C’est immense. Je vois des films presque tous les jours, et je lis des livres de cinéma. Le cinéma pour moi, est vraiment un lieu de vie, de pensée, d’imagination. C’est un plan d’imaginaire qui est un lieu de vie en même temps. C’est une façon de regarder, de sentir, d’écouter, de comprendre, de réfléchir, de rêver…C’est tout ça entremêlé.

Hortense Lemaitre : Quelles sont les thématiques qui t’intéressent ?

Jean Breschand : Il y a des trucs que je n’aime pas du tout au cinéma. Les forces qui agissent en nous sont largement enfouies, enterrées, socialement enterrées. Je n’aime pas le cinéma sociologique qui est un cinéma extrêmement dominant depuis un moment. Il assigne les personnages à une place sociale. Une fois ce présupposé posé à l’orée du film, il n’y a plus qu’à assister au drame qui se résume à la façon dont le personnage arrivera ou pas à s’en sortir. Je trouve cela insupportable car c’est un cinéma qui est profondément obéissant aux normes sociales dominantes et qui enferme tout le monde du départ à la fin. Alors c’est pétri de bonnes intentions, toujours dans l’idée de dénoncer, etc. Mais ce n’est pas ça le cinéma.

Le cinéma a d’autres choses à nous donner que d’être le miroir de nos malheurs. Dans la mesure où jamais n’est remis en question les forces qui organisent ce malheur. Où jamais ne sont explorées les figures du désir.
Or, une personne ne se réduit jamais aux pressions sociales dont il est le jouet. Ça, c’est une loupe déformante. Mais c’est vraiment la loupe dominante. C’est un des problèmes de la critique politique d’ailleurs, qui cherche à démonter des mécanismes d’oppressions, en les prenant trop au sérieux, d’une certaine manière, au détriment de rapports de force à la fois plus violents et subtils, liés à la façon dont circule le capital aujourd’hui...

Explorer les puissances désirantes des personnages, ça oui. Je trouve ça passionnant. Parce que ça échappe aussi, en partie, au contrôle : toutes ces forces, que je dis « préhistoriques » qui sont cette espèce de puissance vitale qui nous anime, qui fait que nous mobilisons des forces très obscures, profondément enfouies, qui sont des puissances de vie anhistoriques qui nous animent, et tant mieux. Et le cinéma peut aller chercher ça.

Ou autre chose : la façon d’associer. Le montage est une puissance du cinéma. Mais on n’associe pas deux plans. On associe deux actions, deux personnages, deux événements, deux énergies. Et ça mobilise, ça exprime à la fois…comment dire... D’abord, ça produit des raccords, des rapprochements auxquels on ne pensait pas forcément. Ou bien ça produit des court-circuits. Et puis ça fait venir d’autres puissances de lecture, de compréhension, d’appréhension du monde que d’autres arts ne peuvent nous donner.
Il y a de grands films dont la puissance de sens et d’imaginaire viennent de la façon dont se développe le récit, dont se répondent les plans. Après ça dépend des cinéastes. Par exemple, Kubrick était un cinéaste très mental. De grands cinéastes nous font toucher des zones d’être ou de pensée auxquelles on n’accède pas si facilement que ça. Wong Kar-Wai dans « 2046 ». Ou Jia Zhang-ke. Ou Apichatpong Weerasethakul. Ou tiens, pour parler du documentaire : « Le jour du pain » de Dvortsevoi. On sent que le cinéaste regarde ce qu’il filme avec un mélange d’ironie et de mélancolie, où les animaux sont plus conviviaux que les hommes qui eux sont pris dans des conflits. Ce n’est pas très loin du regard amusé de Tati sur les hommes. Ce n’est jamais agressif ou vengeur ou sardonique. C’est ça que j’essaie de dire . Les grands films nous font accéder à des zones d’être dans lesquels nous ne sommes pas habitués.

À suivre...
Un café avec Jean Breschand 2/2 « Raconter d’autres types d’histoires »

Propos recueillis le mercredi 13 mars 2019 à Mellionnec.