Pour la sortie de son film « Personne n’y comprend rien », qui retrace l’affaire Sarkozy/Kadhafi depuis plusieurs décennies, Yannick Kergoat a fait une tournée en Bretagne du 24 au 28 février 2025 organisée par Cinéphare, en partenariat avec les cinémas et Ty Films. À cette occasion, nous avons pu lui poser quelques questions...
Entretien et photographie par Chloé Henry.
Peux-tu te présenter et nous décrire ton parcours avant d’être réalisateur ?
J’ai surtout une carrière de monteur, principalement pour des films français de fiction au cinéma, depuis 30 ans maintenant. Je suis venu à la réalisation via mes activités militantes, notamment sur la critique des médias. J’étais un des animateurs d’ACRIMED, Action Critique Média, l’une des plus vieilles associations françaises de critique des médias. C’est dans le cadre de cette activité militante, que j’ai été amené à faire un premier film documentaire sorti en salle en 2012, « Les Nouveaux Chiens de Garde », que j’ai co-réalisé avec Gilles Balbastre. Puis, il y a cinq-six ans, un ami producteur m’a proposé de réalisé un film, cette fois sur la question de l’évasion fiscale : « La (très) Grande Évasion ». Je l’ai coécrit avec Denis Robert et il est sorti en salle en 2022 . Et puis, dernièrement, la rédaction de Médiapart m’a proposé de faire un film sur l’affaire Sarkozy-Kadhafi : « Personne n’y comprend rien ».
Mais en réalité j’avais commencé à réaliser des documentaires pour la télévision, il a une trentaine d’années. Très vite, j’ai trouvé que la télévision était une usine à formater les films. Ça m’était insupportable que l’on intervienne sur le travail des réalisateurs et réalisatrices, pour que tout rentre dans des cases, des propos et des moules prédéfinis. Après trois ou quatre films, j’ai décidé d’arrêter définitivement de travailler pour la télé.
Tu parles de tes débuts militants qui t’ont amené vers le cinéma documentaire, tous les films que tu fais sont dans des thématiques similaires.
C’est vrai que le succès de mon premier film « Les Nouveaux Chiens de Garde » amène d’autres propositions du même type. Mais pour moi, la vie politique compte, l’engagement citoyen aussi, sur la question des médias et dans bien d’autres domaines. Je pense que le cinéma est un outil de réflexion et de prise de parole qu’il faut utiliser. Personnellement, cela me conduit à traiter des sujets engagés sur des thématiques socio-politiques. Évidemment, le cinéma documentaire est beaucoup plus large que ça, avec des sujets et des formes extraordinairement variés. J’aime le cinéma documentaire pour ça. J’adore aller voir des films qui parlent de sujets géopolitiques, comme ceux qui s’intéressent à l’intime.
Pour ce film, c’est Médiapart qui t’a contacté, un média en ligne. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur la volonté de sortir ce film dans les salles de cinéma ?
Médiapart m’a contacté, et la commande était effectivement de faire un film de cinéma. La salle de cinéma offre un accès à l’espace public alternatif à celui des médias dominants. D’autant plus, que contrairement à la télévision, une fois qu’on a dépassé la censure économique, c’est-à-dire la difficulté à réunir assez d’argent pour faire un film, on a une liberté éditoriale totale.
Pour moi, un film de cinéma induit des enjeux d’écriture particuliers. Il y a une réalité du grand écran et de la salle de cinéma. C’est une écriture, une forme, une grammaire qui n’est pas la même qu’à la télévision.
Ensuite, faire le choix de la salle sur un sujet comme celui-là implique dès le départ d’accompagner le film, comme je le fais à Mellionnec et dans la région en ce moment. Le choix d’animer des discussions à l’issue des projections fait partit du projet. Depuis sa sortie le 8 janvier, une dizaine de journalistes de la rédaction de Médiapart vont rencontrer le public un peu partout en France.
Le film rencontre un succès important, peux-tu nous en dire plus sur la temporalité dans lequel il s’inscrit ?
Le procès de l’affaire « Sarkozy-Kadhadi » a débuté le 6 janvier au tribunal judiciaire de Paris. Le film est sorti le 8 janvier. Pour nous, c’était le moment où cette affaire allait à nouveau, intéresser le public. C’était donc le moment idéal pour faire valoir l’enquête journalistique et judiciaire, raconter ce qu’il y avait dans le dossier d’instruction et expliquer ce qui avait conduit les juges d’instruction à renvoyer treize prévenus devant un tribunal pour ce qui est sûrement la plus importante affaire de corruption politique de la 5e république. C’était l’occasion de prendre Nicolas Sarkozy au mot et de dire : « On va essayer d’y comprendre quelque chose ».
Tu disais que le montage et le tournage du film avaient été très rapides, veux-tu nous parler du financement ?
La réalisation, le montage et la post-prod, se sont déroulés sur une période d’environ cinq mois. En amont, il y a eu envions quatre mois d’écriture et de financement. Pour 90%, le film a été financé par crowdfunding. Ce financement participatif a extraordinairement bien marché puisque 10 178 personnes très précisément ont donné de l’argent pour que ce film existe. Nous avons réuni un peu plus 500 000 €, soit 420 000 € pour le film, si on déduit les contreparties envoyées aux contributeur·trices. Nous avons battu le record du crowdfunding du cinéma français, ce qui est quand même un petit motif de fierté pour tout le monde !
Parlons un peu des coulisses de la réalisation du film, comment est venue cette idée de tourner dans un appartement parisien vide ?
C’est parti d’un constat, qu’il fallait raconter une histoire qui était en totalité une histoire du passé. Les premiers éléments de l’affaire remontent aux années 90 et les derniers à 2022. Or, je voulais que cette histoire passée puisse se raconter au présent. Qu’il y ait véritablement un présent de récit. Un présent du film. J’ai pensé que la meilleure manière d’y arriver était de réunir l’ensemble des témoins, mais aussi des images d’archives dans un lieu unique qui incarnerait ce présent du film. D’où l’idée de départ d’avoir des espaces différents dans un lieu unique. C’est sur la base de cette idée que, un peu par hasard, c’est fait le choix de cet appartement qui par ailleurs était cohérent avec l’économie du film.
Pour finir, hier soir lors de la projection, il y a eu des rires dans la salle. Est-ce un effet voulu ?
Les journalistes de Médiapart, quand ils m’ont proposé le projet, souhaitaient qu’il y ait de l’humour. Et c’est vrai que dans mes films précédents, j’avais beaucoup utilisé l’humour comme une arme d’une certaine manière. Donc la « commande » était un peu de faire la même chose. Mais, très rapidement avec Pauline Casalis, la monteuse du film, nous nous sommes aperçu que cette histoire ne permettait pas de faire des blagues et que plaquer de l’humour sur cette affaire s’était un peu comme se tirer une balle dans le pied. On a donc choisi de fait un film au contraire très sérieux, très rigoureux, très formel.
Finalement, ça a été une grande surprise, à la sortie du film, de constater que les gens riaient dans la salle. Le décalage produit par les explications caricaturales et les déclarations outrancières de Nicolas Sarkozy avec la compréhension progressive de l’affaire et des faits, finit involontairement par produire un effet comique. En fait, aux yeux des spectateur·trices, Nicolas Sarkozy ment comme un enfant, et c’est ça qui fait rire.
Ces rires, aussi par moment, sont un peu libérateur face à la gravité des faits qui y sont révélés.
Merci beaucoup, Yannick, pour ces explications !
Merci. Et merci à toute l’équipe de Ty Films.
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« Personne n’y comprend rien », actuellement encore en salle
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